La Dictée en folie de mai

PAS de REPAS SAGE au DÎNER de Jean-Pierre COLIGNON

Le repas de gala que Mme Michu avait hâtivement organisé en l'honneur de l'accession inespérée de son mari au grade de lieutenant-colonel, et des cinq barrettes qui y étaient attachées, se révéla être une cérémonie moyennement réussie, mais très animée...

Le début des agapes censées régaler des invités triés sur le volet, et auxquels on avait promis de faire bonne chère dans un cadre raffiné, fut marqué par un léger incident désagréable.

 

Le cordon – plus proche du catgut que du simbleau - (du latin singula, ceinture est un cordeau pour tracer de grandes circonférences) qui maintenait suspendue au-dessus d'un buffet Louis XV une minuscule nature morte due à un petit maître impressionniste s'était rompu, et le tableautin (petit tableau) avait chu, au milieu d'un bruit fracassant, sur la surface encombrée dudit meuble.

Du coup, le silence, lui, fut... général ! La peinture elle-même ne fut pas endommagée, mais trois verres à pied en baccarat avaient volé en éclats en cinq sec...

 

L'amour quasi maternel que Mme Michu portait aux objets qui lui appartenaient lui fit éprouver un sentiment de tristesse particulièrement intense, mais elle se ressaisit pour écouter poliment son amie la quincaillère qui exposait une mésaventure où des assiettes en glaise tenaient le premier rôle.

 

Comme la pauvre bégayait, son histoire de poterie cassée fut supplantée par les propos dithyrambiques et lyriques de son voisin sur le livarot, ce fameux « colonel » qui est l'un des orgueils de la Normandie avec, entre autres, le neufchâtel.

Des vivats nourris saluèrent la péroraison...

Une soi-disant pythonisse (femme douée du don de prophétie), à la toilette... voyante, forcément, enchaîna en expliquant comment elle s'était servie d'une infusion d'herbe-aux-chats, pour faire disparaître sur des nappes des tâches de côtes-du-Rhône.

Des approbations bruyantes, et déjà quelque peu alcoolisées, entérinèrent son intervention...

 

L'homme aux cinq barrettes blanches et dorées, lui, était aux anges : toute l'année aux jarrets de rigueur, étant donné l'engouement de sa femme pour l'osso-bucco, il salivait à l'avance en pensant aux épigrammes (haut de côtelettes d'agneau) grillés aux psalliotes (champignons à lamelles rosées avec anneau) safranées figurant au menu.

 

Ayant découvert de loin le plateau de fromages, sa joyeuse et gourmande voisine aux appas généreux moulés dans un caraco rouge Carpaccio et un pantalon noir de jais était déjà toute à son brie.

En attendant, tous les deux s'étaient largement servi de bonnes rasades de beaujolais-villages, et, le visage rubicond se gardaient bien de se lever, de peur de marcher en zigzag !

 

La pauvre Mme Michu, jusqu'à la fin du dîner, réussit à faire bonne figure, quoi qu'elle en eût.